Le cynique découvre aux patients les maladies dont ils souffrent. Mais c'est à lui d'imposer les consultations, car rien n'est pire que le malade qui s'ignore... " Je suis pourtant étonné, clamait-il (Diogène) aux jeux : si je prétendais être capable de soigner les dents, tous ceux qui ont besoin de se faire extraire les dents accourraient vers moi : et si je soutenais que je puis soigner les yeux, tous ceux qui ont des yeux malades se présenteraient à moi : même chose encore si je prétendais connaître un remède à l'hypocondrie, à la goutte ou au rhume. Mais quand je promets de libérer les gens qui m'écouteront de la folie, de la perversité et de l'intempérance, personne ne me prête plus attention, personne ne me prie de le guérir, même s'il devait par la suite en retirer un important profit en argent. C'est tout comme si le gens étaient moins gênés par ces derniers maux que les autres maladies, ou comme s'il était plus terrible pour un homme de supporter une rate enflée ou une dent carriée qu'une âme stupide, ignorante, lâche, arrogante, voluptueuse, servile, irascible, cruelle, perverse, en un mot, tout à fait corrompue." Les maux dont souffre l'humanité sont aisément susceptibles de regroupement sous un seul et même ordre : les hommes sont malades de ne pas savoir vivre libres, de ne pas connaître les délices de l'autonomie, de l'autosuffisance et de la pleine disposition de soi-même. La grande santé, dirait Nietzsche. Les symptômes sont évidents : goût pour le frivole, la légèreté, l'argent, le pouvoir, les honneurs, mesquinerie, idéaux séculaires - travail, famille, patrie.
Michel ONFRAY " Cynismes "
Michel ONFRAY " Cynismes "